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RECETTES

La mémoire de C'hoar Marie

 

 

(la mémoire est de C'hoar Marie ; la plume est de Corynn)

   

A la messe du matin, il fallait partir à jeun pour recevoir Jésus. C'était très dur pour nos petits estomacs. A la fois engourdis et excités, nous avions parfois du mal à nous concentrer sur ce que disait le recteur. Ah, les coups de casquette de Tad derrière les oreilles pour nous remettre l'esprit dans le droit chemin…

 

Au retour dans notre petite maison, c'était le fête à l'avance. Le cochon avait été tué il y a peu et on savait bien que Mam avait préparé le Strïmpous. Le Strïmpous de Mam, c'était quelque chose !

 

Elle avait longuement fait cuire les boyaux, ainsi que la viande de porc à part, dans deux grandes marmites d'eau salée. Après, patiemment, avec un couteau puis une fourchette, elle avait émietté tout ça. Pendant que les oignons revenaient dans la graisse du cochon, elle dénoyautait les pruneaux pour les couper en tous petits morceaux et moi, je suçais avec délice les noyaux noirs et sucrés. Ils ressortaient de ma bouche bien nettoyés, d'une belle couleur dorée. Ensuite, dans une belle marmite en fonte, Mam mettait une couche de viande, une couche de boyaux, une couche de pruneaux, une couche de sucre et une petite couche d'oignons, à intercaler. Elle faisait cuire longuement son Strïmpous et l'odeur qui s'en dégageait, se répandant dans toute la maisonnée,  nous faisait saliver à l'avance des heures durant.

 

Au coin du feu, il y avait la casserole de café où le marc, lentement, partageait son arôme avec l'eau frémissante, en attendant d'être passé. Et puis, il y avait le bon lait, bien crémeux qui n'attendait que d'être mélangé au café lorsque celui-ci serait prêt.

 

Nous ne mettions pas d'assiette, juste les bols pour le café au lait sucré et des cuillères, pour toute la famille, les amis qui voulaient et la place du pauvre. Il y avait de belles tranches de pain sur la table et le chant du Strïmpous que Mam avait mis à griller dans la poêle. Mam avait le don de savoir exactement quand le Strïmpous serait prêt. Elle nous servait le café et dans la minute qui suivait, une chaude odeur de caramel nous signalait qu'il fallait sortir le plat de sur le feu.

 

Sous nos yeux gourmands et nos langues salivantes, la poêle encore frémissante était posée au milieu de la table. S'en suivait un silence religieux de bonheur, de bien-être et de contentement. Il ne durait jamais très longtemps. Déjà, les cuillères s'activaient sur le bord de la poêle où nous plongions tous dans un même mouvement de gourmandise. Il fallait manger vite, avant que la graisse de porc ne fige le Strïmpous. Les premières bouchées étaient brûlantes et entraînaient nos rires provoqués par la morsure de la chaleur et le délice parfait de ce plat merveilleux. On prenait soin de souffler un peu sur la cuillère suivante pour ne pas se refaire surprendre par la graisse trop chaude et on se bousculait du coude pour piocher dans la part du voisin et l'empêcher d'en faire de même devant nous.

 

Bientôt, les cuillères allaient moins vite et les estomacs étaient calés. On continuait cependant, péchant d'une gourmandise pure et délicieuse. Le contenu de la poêle ressemblait à une crêpe noire dans laquelle un géant aurait croqué d'énormes bouchées à belles dents, laissant la forme de grandes criques vides autour d'une petite étoile contenant autant de branches qu'il y avait de convives. Du pain, il ne restait que quelques miettes éparpillées sur la table, et les bols étaient vides.

 

Alors, Tad, s'essuyait la moustache et se levait. Ajustant sa casquette sur sa tête, et serrant les boutons de sa veste, il sortait dans les ruelles froides et venteuses vers la mer. Nous, les enfants, nous somnolions un peu sous le coup de la chaleur et de ce petit déjeuner de roi. Bientôt, nous sortirions à notre tour, empli d'énergie pour toute la matinée. Parfois, je restais pour regarder  Mam ranger la cuisine. Il restait un fond de Strïmpous dans la poêle figée, tant mieux. Si elle avait été vide, c'est qu'il n'y en aurait pas eu assez.

 

Sous la jibilinenn, sa tête se penchait sur la main nettoyant la table maculée de miettes et de ronds de café au lait. Les petites cuillères traînaient encore au fond de la poêle maintenant froide, seules vestiges d'un appétit féroce et gourmand. Les larges hanches de Mam dansaient aux vigoureux coups d'éponge, et redressant sa taille, la belle et opulente poitrine maternelle se laissait aller à un soupir de contentement. Mam aimait par-dessus tout soigner les siens et bien les nourrir. Demain, elle nous ferait du Café Mou. Et l'estomac pourtant calé, je sentais déjà mes yeux briller à l'évocation du prochain petit déjeuner.